Le deuxième iconoclasme (809-843)
Une trentaine d’années après le Concile de Nicée, la querelle iconoclaste rebondit. Mais cette fois la réflexion se fit plus profonde. Saint Théodore Stoudite 1 et Nicéphore le patriarche répondirent aux arguments des premiers iconoclastes.
Théodore Stoudite, né à Constantinople d’une famille de hauts fonctionnaires de la cour impériale devint moine dans le monastère où son oncle était higoumène. L’impératrice lui confiera en 799, le monastère du Stoudios à Constantinople, d’où son surnom de Stoudite.
Un synode tenu à Constantinople en 809, sous l’empereur Nicéphore (802-811), condamna les stoudites et les exila. Théodore Stoudite est relégué à Métopa, puis à Bonita près de Smyrne. Les moines du Stoudios sont dispersés : l’un d’eux Thaddaios, est battu à mort ; un autre moine, Arkadios, deux fois arrêté et roué de coups, devint esclave impérial dans une fabrique de tissage. Ceux-ci furent amnistiés sous Michel Ier (811-813), mais la situation se dégrada à nouveau. Léon V (813-820), sous la pression de l’armée, se tourna à nouveau vers les iconoclastes : le patriarche Nicéphore fut contraint de démissionner.
Les iconophiles se réclamaient des décisions du concile de Nicée de 787. Mais Léon V convoqua en 815 un concile qui annula les décisions de Nicée, et remit en vigueur celles de Hieria.
Saint Théodore Stoudite se mit à la tête de l’opposition orthodoxe. Il s’alarma d’une ambassade de l’empereur Léon V auprès du pape Pascal 1er en 816. Celle-ci fut éconduite par le pape. En 818, une lettre modérée de l’empereur au pape risque de mener à un accord et d’isoler les défenseurs des images. Dans les lettres envoyées par Théodore de son exil de Boneta, il demande à Rome de hâter la condamnation solennelle de l’iconoclasme avant que ne disparaisse en Orient toute résistance ; il semble souhaiter, que Rome prenne l’initiative de convoquer un concile œcuménique sur les images, et ne manque pas une occasion de souligner que Constantinople s’est coupée des quatre autres patriarcats, qu’elle est une « terre d’hérésie, étant habituée à vire en rupture avec les autres Églises », au contraire de Rome « contre laquelle n’ont jamais prévalu et ne prévaudront jamais les portes de l’enfer » 2
« Où sont les successeurs des apôtres ? Celui qui est assis sur le siège romain et qui est le premier, celui qui est assis sur le siège de Constantinople et qui vient en second, et après, ceux d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. Voilà le pouvoir à cinq têtes de l’Église, lequel est compétent pour les décisions sur les choses divines. Aux empereurs et à l’autorité séculière d’apporter leur aide et de confirmer les décisions prises. Il ne peut donc être question, de laisser un problème touchant aux choses divines au jugement de laïcs… S’il n’est pas possible que soient présents des représentants des autres patriarches (orientaux), ce qui peut arriver, qu’au moins l’empereur accepte que soit là celui d’Occident (le pape), dont dépend l’autorité d’un concile œcuménique et que (le patriarche Nicéphore) fasse la démarche de paix et d’union en envoyant sa lettre synodique au premier siège… que chacun des deux partis en présence envoie une délégation au (pape) de Rome et que soit reçue de là la certitude de la foi… Si l’un des patriarches se trompe, il faut qu’il soit comme dit le divin Denys, ramené dans la voie droite par ses pairs et non jugé par des empereurs, même si devaient ressusciter tous les souverains orthodoxes. » 3 (lettre de Théodore pour essayer d’orienter l’empereur Michel II vers la réunion d’un Concile œcuménique. Cette insistance de Théodore pour réclamer l’indépendance du pouvoir spirituel face au pouvoir impérial lui vaudra d’être exilé trois fois et de mourir en exil)
En ce texte, Théodore Stoudite parlait selon la foi et non selon ce que suggérait l’importane respective des villes de Rome et de Constantinople. En effet, comme le remarque André Vauchez, Rome n’est plus alors qu’un champ de ruines, d’où surgissent çà et là quelques églises et des zones d’habitat fortifié, Constantinople, au contraire, constitue désormais la Ville par excellence, avec ses palais, ses basiliques et ses trésors – les moindres n’étant pas ses précieuses reliques –, dont tant d’envahisseurs ont vainement tenté de s’emparer.
L’empereur Michel II (820-829), successeur et meurtrier de Léon V, assez indifférent en face de la querelle, se prétendit impartial et annula à la fois les décisions de Hieria de 754, celles du synode iconoclaste de 815, mais aussi celles du concile de Nicée de 787. Il interdit toute discussion au sujet des icônes. En fait d’impartialité, il en vint, et son fils Théophile après lui, à persécuter les défenseurs des images. La plupart des grandes figues de la résistance à Léon V disparurent alors : Théodore Stoudite en 826, Nicéphore en 828. Méthode, futur patriarche, avait trouvé refuge à Rome près du pape Pascal 1er. À son retour, il avait imprudemment remis à Michel II un « Tomos » d’orthodoxie du pape ; il fut alors fouetté et emprisonné.
Enfin, sous Michel III (842-867), sa mère, la veuve de Théophile, Théodora, fit restaurer les images et favorisa l’élection de Méthode, un iconophile, comme patriarche. Le rétablissement des images en 787 s’était fait avec prudence et lenteur, il ne fallut que quelques semaines pour les rétablir à la mort de Théophile en janvier 842 : lassitude, désir d’en finir devant la menace militaire arabe, résistance des iconophiles, admiration pour les héroïques survivants de la persécution, tout contribuait à l’apaisement des esprits. Le synode rétablissant l’orthodoxie se clôtura le 4 mars 843 ; un dîner fut offert par l’impératrice aux principaux hiérarques. Le patriarche Méthode fut intronisé ; le dimanche suivant, 11 mars 843, premier dimanche de Carême, les décisions du synode furent proclamées. C’est l’origine de la fête du « Dimanche de l’orthodoxie ». « Action de grâces anniversaire due à Dieu le jour où nous avons recouvré l’Église de Dieu, avec la proclamation des dogmes de la religion et la déroute des impiétés de la malice », tel est le titre du texte lu chaque année à l’ambon de toutes les églises. Cette célébration est devenue celle de la victoire de l’Orthodoxie sur toutes les hérésies.
Notes
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- Les spécialistes de Théodore préfèrent maintenant le terme de « Stoudite » à celui de « Studite »
- Ep. 221, 406, 407, éd. Fatouros, II, p.344, 563-566
- Ep. 478, éd Fatouros, II, p.695-698