La prédication de saint Jean-Baptiste
De l’évangile selon saint Matthieu
Mt 3, 7-12 – 7 Voyant un grand nombre de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? 8 Faites donc de dignes fruits de repentir. 9 Et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ; car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut faire naître des enfants à Abraham. 10 Déjà la cognée est à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. 11 Moi, je vous baptise dans l’eau pour le repentir ; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses sandales ; lui, il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. 12 Dans sa main est le van : il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point.
De l’évangile selon saint Marc
Mc 1, 6-8 – 6 Et Jean avait un vêtement de poils de chameau et, autour de ses reins, une ceinture de cuir ; et il mangeait des sauterelles et du miel sauvage. Et il prêchait ainsi : 7 «Il vient après moi, celui qui est plus puissant que moi, dont je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés avec l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit-Saint. »
De l’évangile selon saint Luc
Lc 3, 7-18 – 7 Il disait donc aux foules qui s’en venaient se faire baptiser par lui : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? 8 Faites donc de dignes fruits de repentir et n’allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut faire naître des enfants à Abraham. 9 Déjà la cognée est à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. »
10 Et les foules lui demandaient : « Que devons-nous donc faire ? » 11 Il leur répondait : « Que celui qui a deux tuniques en donne une à qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. »
12 Il vint aussi des publicains pour se faire baptiser et ils lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? » 13 Il leur dit : « N’exigez rien au delà de ce qui vous est prescrit. »
14 Des gens de la milice aussi lui demandèrent : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur dit : « Ne molestez ni ne dénoncez faussement personne, et contentez-vous de votre solde. »
15 Comme le peuple s’y attendait, et que tous se demandaient dans leurs cœurs, relativement à Jean, s’il n’était pas le Christ, 16 Jean, s’adressant à tous, dit : « Moi, je vous baptise avec l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et dont je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales ; lui, il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. 17 Dans sa main est le van pour nettoyer son aire et amasser le froment dans son grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point. »
18 Par ces exhortations donc, et beaucoup d’autres, il annonçait au peuple la bonne nouvelle.
Commentaire et réflexion
Saint Jean avait le discernement des âmes : sa prédication s’adaptait aux dispositions de chaque catégorie d’auditeurs. Dans les foules qui se pressaient autour de lui, il distinguait sans peine des pharisiens et des sadducéens, amenés surtout, semble-t-il, par la curiosité, la défiance, le secret désir de prendre un prophète en défaut. Saint Paul nous a appris quelle était leur conception messianique. Les pharisiens étaient les puritains d’alors, des « séparés », des « parfaits » ; les sadducéens, des libéraux, attachés aux seuls livres de Moïse, et en possession de l’influence et du pouvoir. Ils venaient, les uns et les autres, avec leurs préjugés et leur orgueil. Alors même qu’ils s’inclinaient devant le rite baptismal, – et ce ne fut pas le fait de tous (Lc 7, 29-30), – on pouvait lire sur leurs traits ce que leur âme recelait d’hostilité superbe. Aussi la parole de saint Jean, habituellement si douce, prend-elle, lorsqu’elle s’adresse à eux, un caractère de sévérité singulière. Au lieu de les saluer du nom de fils d’Abraham, il les appelle des fils de serpents, une génération de vipères, à raison de leur âme tortueuse et de leur pensée meurtrière. Puis, il témoigne une surprise ironique qu’avec des dispositions comme les leurs ils aient pu même avoir un commencement de pénitence, un mouvement de bonne volonté : « Qui vous a enseigné le moyen d’échapper à la colère qui menace ? Est-il vrai que Dieu a pu pénétrer, ne fût-ce qu’un instant, cette cuirasse de préjugés qui vous défend contre la grâce ? À des yeux résolument fermés à la vérité, comment la lumière a-t-elle pu filtrer quand même ? » Les Juifs croyaient à la colère de Dieu, mais se persuadaient trop aisément qu’elle ne frapperait que les gentils : saint Jean va les détromper. « Si vous vous proposez vraiment d’échapper à la colère divine, faites donc de dignes fruits de pénitence. Que la pénitence, dont vous prenez les livrées extérieures, produise en vous son fruit normal, régulier : un changement d’âme. On ne dupe pas Dieu. »
Rien n’est plus direct et plus approprié que les paroles qui suivent. Rappelons-nous l’infatuation qu’avaient inspirée aux Juifs les privilèges religieux dont le Seigneur les avait prévenus. Le fait pour eux d’appartenir à la race élue, à la souche d’Abraham, les élevait à leurs yeux, non pas seulement au-dessus de tous les hommes, mais au-dessus de toute chance d’être écartés et repoussés de Dieu. Ils avaient conscience de lui être nécessaires. Dieu avait résolu, en effet, de se servir des Juifs pour préparer le Messie ; ils avaient les solennelles promesses. Mais il était dès lors accompli, le dessein providentiel en vue duquel Abraham et sa postérité avaient été privilégiés et maintenus. Il ne s’agit donc plus maintenant de se targuer de sa race, ni de se reposer sur des prédestinations fatales, ni de se dispenser du bien avec une prétention généalogique. « Ne vous avisez donc pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ! Car je vous le déclare : de ces pierres qui vous entourent Dieu peut susciter des enfants à Abraham ! » Il y a un jeu de mots entre le terme hébreu qui signifie pierre et celui qui veut dire fils. La vocation des gentils est donc annoncée dès cette première heure ; les privilèges des Juifs sont étendus au monde entier. Dieu, jusqu’ici, a patienté à cause de son Fils : dorénavant, il ne tiendra plus compte de la lignée charnelle. Il est né celui qui change l’allure accoutumée du monde juif. La main vengeresse de Dieu était jusqu’aujourd’hui suspendue ; mais maintenant la cognée menace le pied des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu.
Le ton de saint Jean est très différent devant certaines portions, mieux disposées, de son auditoire ; il les éclaire sur leurs devoirs spéciaux. Que devons-nous donc faire ? lui demandaient les foules. C’est l’interrogation spontanée des âmes loyales, la demande inquiète de tous ceux qui veulent plaire à Dieu (Ac 2, 37 ; 9, 6). Saint Jean répond par un simple précepte de charité : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas ; de même pour les aliments. » Les Juifs portaient tunique et manteau ; les voyageurs avaient ordinairement deux tuniques : le Seigneur invitera ses apôtres à n’en avoir qu’une seule. Des publicains eux-mêmes, des collecteurs de taxes romaines, personnages assez mal famés chez les Juifs, venaient se faire baptiser et posaient la même question : « Maître, que ferons-nous ? » – « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été prescrit par les lois, n’obligez pas à verser un surplus, une différence à votre profit. » Se présentaient aussi des soldats, et ils demandaient à Jean : « Et nous, que devons-nous faire ? » Peut-être s’agit-il de soldats juifs, accompagnant les publicains, pour aider au recouvrement, toujours difficile, de l’impôt romain. Ils pouvaient être tentés de faire compléter par les populations tributaires, au moyen de procédés violents ou peu honnêtes, ce que leur paie avait, selon eux, d’insuffisant. « Ne violentez personne, leur dit le Précurseur, n’extorquez rien par fraude et contentez-vous de votre solde. »
Saint Jean parlait avec autorité ; l’Esprit de Dieu était sur lui. On devinait que le Messie était proche : le sceptre n’était-il pas sorti de Juda ? Le peuple, dit saint Luc, était dans l’attente, et tous se demandaient dans leur cœur au sujet de Jean : Ne serait-ce pas lui le Christ ? Le Baptiste va de lui-même au-devant de cette méprise qu’il pressent et répond à la pensée secrète de chacun. Sa mission consiste à annoncer le Messie, à préparer les âmes à l’accueillir, à le désigner enfin. Non, proclamait-il, je ne suis pas le Christ. Nous sommes ensemble, lui et moi, comme nos baptêmes respectifs. Moi, je vous plonge dans l’eau ; et le terme de mon baptême c’est la conversion, c’est le redressement des voies par lesquelles Dieu descend dans le cœur des hommes : un travail de déblaiement. Mais il est quelqu’un qui vient après moi, qui ne s’est pas révélé encore : il est plus puissant que moi. – Peut-être à ce moment, sur la rive du Jourdain, quelques-uns de ceux qui venaient de recevoir le baptême étaient-ils occupés à renouer leurs sandales, au sortir du bain. Saint Jean prend occasion de ce menu détail pour incliner aux pieds du Messie toute sa sainteté, toute la réputation dont il jouit devant les foules : Je ne suis pas même digne de me pencher jusqu’à terre, comme l’esclave, pour délier la courroie de ses sandales. C’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. Au lieu de cette pureté de surface que vous donne l’eau du Jourdain, il vous plongera, lui, dans l’Esprit vivant et vivifiant, il vous donnera cette pureté profonde, cette transformation que procure le feu au métal qu’il a pénétré (Jn 3, 5-8 ; Ac 1, 5).
L’imminence du discernement divin, promulguée déjà tout à l’heure sous le symbole de l’arbre qui ne porte pas de bons fruits, est intimée à nouveau sous l’image du laboureur qui, dans l’aire, s’apprête à faire le départ du blé et de la paille. Il porte son van dans la main. Il va purifier son aire, le monde juif. Il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. C’est, en petit, l’œuvre de discernement qui doit s ‘accomplir au dernier jour du monde ; Dieu en fera comme un essai aux jours de tribulation qui doivent clore la première économie surnaturelle : celle du judaïsme.
Résumons l’ensemble des caractéristiques du Messie : il vient, il est plus puissant que Jean, Jean n’est pas digne d’être son serviteur, il baptisera dans l’esprit et dans le feu, il fera une sélection parmi les hommes ; et toutes choses sont à lui : le van, l’aire, le blé, la moisson. Dans la pensée et l’enseignement du Précurseur, il ne s’agit donc pas d’un Messie purement national et politique, mais du Juge souverain des dispositions les plus secrètes. Saint Luc ajoute que nous n’avons ici qu’un sommaire de la prédication de Jean : il adressait au peuple beaucoup d’autres exhortations, en lui annonçant la bonne nouvelle. Puis, par un procédé de composition que nous avons rencontré déjà chez cet évangéliste, saint Luc, qui veut prendre congé de saint Jean-Baptiste, anticipe sur les événements et rappelle que la franchise du Précurseur lui valut d’être emprisonné par Hérode : nous raconterons cet épisode à sa place historique.