Jeudi 2e semaine de Pâques (I)
Sermon du bienheureux Guerric d’Igny, abbé
Sermo 1 de resur., 5 : SC 202, 224-226
Maintenant, mes frères, en quoi la joie de votre cœur est elle un témoignage de votre amour du Christ ? Pour moi, voici ce que je pense ; à vous de voir si j’ai raison; si jamais vous avez aimé Jésus, vivant, mort, puis rendu à la vie, en ce jour où, dans l’Église, les messagers de sa résurrection annoncent celle-ci et la proclament d’un commun accord et à tant de reprises, votre cœur se réjouit au-dedans de vous et dit : « On me l’a annoncé, Jésus, mon Dieu, est en vie ! Voilà qu’à cette nouvelle mon esprit se ranime, lui qui était assoupi de tristesse, languissant de tiédeur, ou prêt à succomber au découragement. »
En effet, le son de cet heureux message parvient même à tirer de la mort les criminels. S’il en allait autrement, il ne resterait plus qu’à désespérer et à ensevelir dans l’oubli celui que Jésus, en sortant des enfers, aurait laissé dans l’abîme. Tu seras en droit de reconnaître que ton esprit a pleinement recouvré la vie dans le Christ, s’il peut dire avec une conviction intime : « Cela me suffit, si Jésus est en vie. » Comme cette parole exprime un attachement profond, qu’elle est digne des amis de Jésus ! Qu’elle est pure, l’affection qui parle ainsi : « Cela me suffit, si Jésus est en vie ! » S’il vit, je vis, car mon âme est suspendue à lui ; bien plus, il est ma vie, et tout ce dont j’ai besoin.
Que peut-il me manquer, en effet, si Jésus est en vie ? Quand bien même tout me manquerait, cela n’aurait aucune importance pour moi, pourvu que Jésus soit vivant. Si même il lui plaît qu’il me manque à moi-même, il me suffit qu’il vive, même si ce n’est que pour lui-même. Lorsque l’amour du Christ absorbe ainsi totalement le cœur de l’homme, de telle sorte qu’il se néglige et s’oublie lui-même et n’est plus sensible qu’à Jésus-Christ et à ce qui concerne Jésus-Christ, alors seulement la charité est parfaite en lui. Certes, à celui dont le cœur est ainsi touché, la pauvreté n’est plus à charge ; il ne ressent plus les injures, il se rit des opprobres, il ne tient plus compte de ce qui lui fait du tort, et il estime la mort comme un gain. Il ne pense même pas qu’il meurt, car il a plutôt conscience de passer de la mort à la vie ; aussi dit-il avec confiance : J’irai le voir avant de mourir.